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15 juin 2009

Des deux côtés du miroir

Coraline_cdLa rencontre entre le compositeur français Bruno Coulais et le réalisateur américain Henry Selick sur CORALINE aurait pu s'avérer incongrue si elle n'apparaissait comme logique tant l'univers respectif des deux hommes tourne autour du mot singularité. Adapté d'un roman de Neil Galman, le nouveau long-métrage d'animation du réalisateur de THE NIGHTMARE BEFORE CHRISTMAS (L'ETRANGE NOEL DE MR JACK en vf) (si Tim Burton a écrit et produit ce film, c'est bel et bien Henry Selick qui en a assuré la réalisation) nous raconte comment la jeune Coraline, s'estimant délaissée par ses parents et incomprise par son entourage, découvre un monde parallèle coloré en apparence identique au nôtre mais où elle est le centre de toutes les intention;s néanmoins, tous les habitants ont des boutons à la place des yeux. Comme l'on dit, les apparences sont souvent trompeuses et Coraline va bien entendu l'apprendre à ses dépens. Passant du conte léger à un métrage exposant les peurs enfantines les plus terribles et flirtant ainsi avec l'épouvante, le cinéaste maîtrise de bout en bout son sujet et donne libre cours à son imagination débordante, qu'il s'agisse du visuel, des personnages hauts en couleurs ou des créatures les plus cauchemardesques.

Dans un tel contexte, un  musicien aussi atypique et créatif que Bruno Coulais ne pouvait que trouver son bonheur dans un univers aussi riche. C'est qu'il ne faudrait pas résumer la carrière du compositeur à des CHORISTES ayant un peu trop défrayé la chronique. Ayant débuté sa carrière dans la musique contemporaine, notre homme totalise près de 30 ans de musiques pour l'image au compteur (son premier travail répertorié sur la toile étant NUIT FÉLINE remontant à 1978). Et lorsqu'il n'était pas encore très connu, il a su rapidement imposé un style unique à de nombreux projets. Un film comme LE PETIT PRINCE A DIT de Christine Pascal (1991) laisse entendre dès les premières notes de son générique un chant enfantin des plus originaux et, qui, mis en perspective chronologique, porte immanquablement l'empreinte de son auteur. 2 ans plus tard, Bruno Coulais écrit la musique d'une œuvre peu connue: LE FILS DU REQUIN d'Agnès Merlet. Partagée entre quatuors à cordes, chansons enfantines et thèmes pour orchestre, la partition contient notamment en germe le succès public et commercial desdits CHORISTES, belle musique s'il en est mais qui est loin d'être sa meilleure. Beaucoup plus tôt, Bruno Coulais avait osé les mélanges les plus improbables, qu'il s'agisse des polyphonies corses du groupe A Filetta collées aux images du DON JUAN de Jacques Weber, (1995) des sonorités étranges intégrées aux voix enfantines de MICROCOSMOS (1996) ou de la rencontre des chants corses et des voix gutturales tibétaines dans HIMALAYA (1999). Recettes risquées certes mais qui ont contribué grandement à la réussite artistique des films concernés tant il est clair que les images réclamaient ces musiques.

bruno_coulais_photoCORALINE ne contient pas à proprement parler de mélanges aussi surprenants: sujet oblige, on y retrouve une chorale d'enfants, un orchestre et quelques solistes (voix enfantine, harpe, hautbois, guitare basse, claviers). Mais cela ne signifie pas que Bruno Coulais ait donné dans la redite; bien au contraire, il a pris le scénario à bras le corps pour livrer une oeuvre ambitieuse, complexe, témoignant d'une grande finesse d'écriture et en parfaite symbiose avec les images. Exposé en deuxième plage, le thème principal "Dreaming"  (où le compositeur place sa propre voix au chant lead) domine la première moitié du film ainsi que celle de l'album paru chez Koch et distribué par Naïve en France. Il représente les rêves d'évasion de l'héroïne et ses premiers pas dans le monde parallèle. Un second motif mélodique présenté dans "Installation" renforce cet aspect de l'histoire. A mesure que Coraline découvre l'autre monde qui lui semble être le meilleur, Bruno Coulais fait un très léger détour par le jazz et la musique de cirque tandis que le groupe They Might Be Giants livre une "Other Father Song" enjouée et qu'Henry Selick s'essaye à l'opérette ("Sirens of the Sea"). Cet électisme musical pourrait paraître incohérent s'il ne servait pertinemment le récit: le monde parallèle qui se présente à la jeune héroïne est coloré, enjoué, riche de personnages un peu fous mais au fort capital sympathie; musicalement, le compositeur en totale concertation avec le réalisateur a fait le choix de la mise en avant d'une large palette de styles musicaux, d'où ressortent tout de même des ambiances féériques et légères donnant la part belle à la chorale d'enfants enregistrée à Nice, à la voix soliste chaleureuse de Mathilde Pellegrini et à la harpe aérienne d'Hélène Breschand.

De par sa seule première partie, la musique de CORALINE est déjà très riche en orchestration et en ambiances. Mais comme on l'a dit plus haut, les apparences sont trompeuses et dès lors que se révèle la véritable nature de l'autre monde, la partition devient logiquement peu mélodique, voire atonale, le compositeur faisant intelligemment appel à de nombreux schémas de la musique contemporaine et concrète. Moults sonorités électroniques singulières renforcées par des cuivres puissants mais agressifs créent un climat oppressant et déstabilisant aussi bien pour le spectateur du film que pour l'auditeur du disque mais là encore pleinement justifié par le récit cinématographique et la mise en scène. Là où de nombreux compositeurs auraient lancé un nombre incalculable de clusters dissonants éventés, Bruno Coulais préfère une approche musicale abstraite tout aussi efficace. L'écoute hors film de cette partie de la partition ne relève pas de la première évidence; elle confirme néanmoins l'entière créativité de son compositeur.

coraline_afficheLe film comme le disque se closent sur un développement à la fois apaisé  et fragile du second motif mélodique ("The Party") qui nous permet de retrouver Mathilde Pellegrini et Hélène Breschand avant que des "End Credits" (placés en introduction du cd) nous permettant d'entendre une nouvelle mélodie ne viennent  résumer avec une étonnante concision tous les aspects du film. S'il y a une constante dans l'œuvre de Bruno Coulais, c'est la mise en valeur des solistes, qu'il s'agisse des voix ou des instruments. L'orchestre  (subtilement dirigé par Laurent Petitgirard) est présent mais il ne se dévoile qu'au travers de discrètes section de cordes ou des percées de cuivres citées ci-dessus. D'aucun pourront reprocher ce manque de symphonisme de la musique; il a très largement le mérite d'étouffer dans l'oeuf tous les clichés inhérents à la musique de films et à la musique hollywoodienne actuelle en particulier. Bruno Coulais a livré avec CORALINE une excellente musique de film et une excellente musique tout court. Plusieurs écoutes de l'album ainsi que la vision du film révèlent des trésors d'ingéniosité et de finesse et ne peuvent que faire espérer que le compositeur puisse apporter un vent de fraîcheur et d'originalité lors de ses prochaines aventures américaines.

Raphaël Tchelebi

English version:

The meeting beetween american director Henry Selick and french composer Bruno Coulais was something logical. These 2 artists have one word in common: singularity. Based on a novel by Neil Galman, CORALINE presents a young girl who thinks her parents, neighbors and friends don't see her as she is. One day, she opens a door in her house and discovers a parallel world apparently identical to this we all know. But here, Coraline's parents take care of her, the friends and people are cool one, colors and happiness seem to be the order of all days. Nevertheless, all the people have buttons in place of the eyes. Strange, isn't it? Coraline will soon that appearances can be lies... From this start, Henry Selick have made a really good film, where he lets express all his imagination. The visuals, the characters and creatures are strong signs of this.

coraline_photo_2In this context, Bruno Coulais finds many ways to create another singular and atypical music. Don't imagine he's the only musician behind the too famous movie THE CHORUS: Mr Coulais writes film music for more than 30 years and scores like LE FILS DU REQUIN, MICROCOSMOS or HIMALAYA show a great originality many times before this film. You here unusual string quartets, singular children songs, strange contemporary sounds or a totally adequate but surprising mix beetween western and tibetan vocals. All of these styles are those of a unique composer who brought his unique signature to CORALINE. In the first part of the film and of the album released by Koch, we hear a eerie children choir backed by gentle strings, an intimate children solo voice, sweet harp solos, a little bit of jazz, a joyous song by the band They Might Be Giants, a retro musical number written by Henry Selick. All of these styles illustrate Coraline's exploration of the new world she had discovered. But when the truth about it is revealed, the music becomes logically less thematic, often atonal. Strange electronic textures and noises, bells and a strong horn section create a dark and disturbing atmosphere.

You'll go yourself to the conclusion: CORALINE is a fine and subtle score made by a composer entirely to the film and who didn't chose the way of the cliché. Those who have waited for full symphonic music will be disappointed because Bruno Coulais always puts the solo instrument or vocal or a small group of instruments in the frontside. There is an orchestra conducted with gusto by Mr Laurent Petitgirard but he never expresses himself in his full side. Nevertheless, this choice was the good one for CORALINE and we can only hope that Mr Coulais will continue to bring fresh and original ideas in his american filmmusic adventures.

Raphaël Tchelebi

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